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Gérard Gobitz



 
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Histoire

Juif étranger en zone libre - 1940 À 1942

Il s'agit de souvenirs personnels et de faits historiques dont je n'ai eu connaissance qu'après mon retour de déportation ou par mes recherches récentes dans les archives départementales de l'ancienne zone libre. Je sais que l'évocation de souvenirs personnels est souvent entachée d’informations dont le témoin n'a eu connaissance que bien après les événements décrits. Je ferai donc en sorte que le lecteur sache, tout au long de mon exposé, s'il s'agit de souvenirs personnels ou d'informations acquises après la guerre.

Des réfugiés juifs sont arrivés dans le département du Tarn à partir du mois de juin 1940. D'où venaient-ils ? Il nous faut remonter à septembre 1939 pour le préciser. En effet, c'est à la déclaration de guerre que le gouvernement Daladier s'est cru obligé de décider l'internement des hommes âgés de 17 à 65 ans "ressortissants de l'Empire allemand". Ceux qui s’étaient ralliés au régime hitlérien furent rapidement séparés du plus grand nombre et placés sous la protection de l'ambassade de Suède qui défendait les intérêts allemands. Restaient environ 10 000 hommes pour la région parisienne, un groupe composé d'antifascistes, dont un grand nombre de Juifs. Je pense que le total des réfugiés provenant d'Allemagne, d'Autriche et de la Sarre ne devait pas dépasser 25 000 hommes, femmes et enfants pour l'ensemble de la France. À noter que les militants du parti communiste allemand, reconstitué en France, furent envoyés de suite au camp de concentration du Vernet, en Ariège.
Malgré les campagnes de presse et l'intervention de parlementaires, cette situation resta inchangée pendant plusieurs mois, sous la férule du ministre de l'Intérieur Albert Sarraut. On apprit, après la guerre, que cet homme politique avait voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, en juillet 1940.
Nous n'en sommes pas là. Une période d'internement nous attendait, au stade de Colombes, près de Paris, et ensuite dans des fermes réquisitionnées dans le Loir-et-Cher et dans l'Ouest de la France. Après quelques mois assez pénibles, cette situation aberrante fut reconnue comme telle. Une loi de 1938 prévoyait en effet que les "bénéficiaires du droit d'asile" devaient en temps de guerre des prestations à l'armée. Il fut décidé de les leur faire accomplir dans des unités de travailleurs de l'armée appelées "Compagnies de travailleurs étrangers prestataires".
Toutefois, la mise en œuvre de cette décision prit du temps. Elle fut couronnée, en ce qui me concerne, par une période d'instruction dans le département de la Sarthe, afin de faire de nous une unité de militaires sans armes. Mon père fut détaché auprès de l'armée anglaise en France. L'offensive allemande de mai 1940 est alors survenue. À l’approche des nazis, nos unités ont suivi le sort de l'armée et se sont repliées en direction du midi de la France. À Castelnaudary, notre train a quitté la grande ligne de chemin de fer de Bordeaux à Béziers et est remonté jusqu'à Albi, par une ligne aujourd'hui abandonnée. Nous fûmes alors cantonnés au camp de Saint-Antoine, sur la route de Saint Juéry. L'arrivée des prestataires a entraîné l'arrivée de familles et je pense que s'est ainsi constitué le premier noyau de réfugiés étrangers dans le Tarn.
L'armée était en pleine démobilisation. Les soldats ne demandaient qu'à rejoindre leurs foyers. Certaines unités étaient dépourvues des effectifs nécessaires pour réceptionner et entretenir leur matériel : les armes, l'habillement et les chevaux entre autres. Les prestataires furent donc affectés à ces tâches. C'est ainsi que l'unité stationnée à Albi fut divisée en deux groupes : celui d'Albi et celui de Castres. Dans cette ville, nous fûmes logés dans la caserne Drouot, aujourd'hui disparue, et plus tard dans la caserne Fayolle. Rattachés à un régiment du train hippomobile, nous étions satisfaits de pouvoir enfin nous rendre utiles, malheureusement dans des circonstances pénibles que nous n'eussions pas imaginées.
Le traitement par les cadres de l'armée était convenable ; nous étions bien intégrés, comme nous pûmes le constater lors du passage de la commission Kundt. Il s'agissait d'une sous-commission mixte émanant de la Commission d'armistice siégeant à Wiesbaden. Composée de Français et d'Allemands, elle parcourut en août 1940 la zone non occupée, officiellement afin de s'assurer qu'aucun Allemand n'était retenu contre son gré dans un camp ou dans une prison. La découverte d'un rapport sur ce voyage, il y a quelques années, a permis d'en comprendre le mécanisme. Du côté français, siégeaient un contrôleur général de la Sûreté nationale et des officiers. Du côté allemand, participaient des officiers, des représentants de la Croix-Rouge allemande, ainsi que des personnages présentés comme étant des "fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur", en fait des agents de la Gestapo.
La convention d'armistice stipulait que seraient livrés à l'Allemagne des réfugiés nommément désignés par les nazis. Il était donc important que les prestataires soient présentés, mais sans que leur identité soit dévoilée. Tout se résumait ainsi à un appel au rapatriement volontaire, qui n’eut pas de succès à Castres. En fait, l'armée avait organisé cette présentation de l'effectif en nous assurant un maximum de protection.
Durant l'été de 1940, je me suis aussi rendu, en permission, au camp de Gurs, dans les Basses-Pyrénées, pour y rencontrer ma mère. En effet, si les réfugiés originaires d'Allemagne, d'Autriche et de Sarre avaient été frappés en 1939 d'une mesure d'internement ne concernant que les hommes, cette mesure fut étendue en mai 1940 aux femmes et aux enfants. Rassemblées, pour la Région Parisienne, au Vélodrome d'hiver (déjà !), elles furent transportées au camp de Gurs. Il s'agissait, pour toute la France, d'environ 6 000 personnes. J'ai ainsi pu "visiter" ce camp qui avait été construit à l'intention des républicains espagnols au moyen de baraquements qui devaient durer un été. En fait, le camp a "hébergé”
60 000 internés entre 1940 et 1944.
J'ai pu y rencontrer ma mère pour la dernière fois. Elle venait d’être libérée. Très choquée par un internement qui avait duré 6 semaines, menacée d'être internée à nouveau, elle est retournée clandestinement dans notre logement de Paris où elle a retrouvé mon père. Mes parents ont été déportés en 1942, lors de la rafle dite "du Vél d'hiv".
Les camps de Gurs et de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) sont devenus entre 1940 et 1942 les lieux d'internement de milliers de réfugiés juifs venant les uns de Belgique, de Hollande et du Luxembourg, les autres du pays de Bade et du Palatinat d'où ils avaient été expulsés par les nazis.
Mais revenons au département du Tarn. Dès l'automne de 1940, la politique autoritaire, xénophobe et antisémite du gouvernement de Vichy se fit sentir. Ce fut, dans le Tarn, la création du camp d'internement de Saint Sulpice-la-Pointe, destiné surtout aux ennemis politiques du régime, l'impact du premier Statut des juifs, la création d'un lieu d'hébergement à Brens pour des Juifs sans ressources, le changement de régime des unités de prestataires.
En ce qui concerne ces dernières, il faut préciser que l'armée d'armistice ne devait être composée que de 100 000 hommes, ce qui impliquait bien naturellement la démobilisation des prestataires. Mais leur démobilisation était fictive. Les compagnies furent mises à la disposition du Commissariat à la lutte contre le chômage, relevant du Ministère du travail. Elles devenaient des Groupes de travailleurs étrangers (GTE) et les membres de l'encadrement, comme les travailleurs, furent rendus à une vie civile à base de discipline militaire.
Le Commissariat à la lutte contre le chômage disposait d'une structure dite "de travail encadré" comprenant des Groupes de nationalités différentes : au départ, des Français ne pouvant rejoindre leurs foyers situés en zone interdite et, de façon permanente, les anciens prestataires espagnols et allemands, autrichiens, sarrois, les militaires démobilisés de l'armée polonaise en France, les légions de travailleurs indochinois. Les travailleurs étaient utilisés soit collectivement, sur des chantiers, soit individuellement, par affectation à un employeur, généralement dans l'agriculture ou pour des travaux forestiers.
Nous savons maintenant que, dès octobre 1940, le gouvernement de Vichy fit état d’une hostilité particulièrement virulente envers les Juifs étrangers réfugiés. Ainsi, lors de la promulgation du Statut des Juifs, le Ministère des Affaires étrangères câbla à l'Ambassadeur de France à Washington un argumentaire que celui-ci devait utiliser dans ses contacts aux Etats-unis. Voici un extrait :

"En prévision du mouvement d'opinion que soulèvera aux Etats-Unis la publication de la loi sur le statut des Juifs, je vous indique ci-après les arguments dont vos services pourront faire état pour expliquer les raisons qui ont motivé les décisions du Gouvernement.
La France comptait avant la guerre un nombre réduit d'Israélites et l'antisémitisme était pour ainsi dire inconnu. Dans les années qui ont suivi la guerre, les Israélites sont entrés en France en nombre toujours croissant, à partir de 1936, profitant de l'influence prépondérante de l'élément israélite au sein du Front Populaire, ...."

Notons qu’en fait le Statut des Juifs frappait avant tout, et durement, les Juifs français. Ils perdaient leur emploi dans la fonction publique, certaines activités privées leur étaient interdites, leurs biens étaient administrés par des personnages nommés par l'Etat. Mais, de 1940 à 1942, leur intégrité physique ne fut pas spécialement menacée. Il n'en était pas ainsi pour les étrangers, et notamment pour les réfugiés.

C'est en octobre 1940 que se produit un événement totalement imprévu. Les nazis arrêtent et expulsent tous les Juifs résidant dans le Pays de Bade, dans le Palatinat et dans la Sarre. Hommes, femmes et enfants, une population allant de l’âge le plus tendre enfance jusqu'à près de 100 ans, est enfermée dans des trains et transportée en France. À l’arrivée à la limite de la ligne de démarcation entre les zones occupées et la zone libre, les autorités de Vichy, incapables de s'opposer au transfert de ces nouveaux "indésirables, décide alors de les interner dans les camps de Gurs, de Rivesaltes et de Saint-Cyprien, dans les Pyrénées-Orientales.

En juin 1941, l'Amiral du Flotte, ministre, secrétaire d'État à l'Intérieur, s'adresse comme suit aux préfets de la Zone libre:

" Objet : Internement des Israélites.

J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'en accord avec Monsieur le Commissaire Général aux Questions Juives, j'ai décidé qu'aucun étranger de race israélite ne sera désormais libéré des Centres d'hébergement ou d'internement si, avant le 10 mai 1940, il n'était pas domicilié en France........
En résumé, j'attache un prix tout particulier à ce que les Israélites étrangers actuellement dans les Centres d'hébergement ou dans les Camps de concentration ne puissent s'intégrer à la collectivité nationale et pour qu'au contraire tout soit mis en œuvre afin d'obtenir leur départ de France".

La mention par l'Amiral Darlan du 10 mai, début de l'offensive allemande, vise les Juifs étrangers de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg qui se sont réfugiés en Zone libre en mai et juin 1940 et les Juifs de Bade et du Palatinat qui furent expulsés par les Nazis vers la France en octobre 1940. Ils constituaient une partie importante des internés des grands camps. Nous retrouverons ce phantasme lors des décisions de 1942 concernant les déportations.
L'année 1941 sera marquée par la promulgation d'un nouveau statut des Juifs, suivi d'un recensement. On constate aussi le développement des secours aux internés par les organisations humanitaires juives et non juives. Elles se réunissent régulièrement à Nîmes, d'où le nom de "Comité de Nîmes". Apparaissent alors deux personnages nouveaux, représentant le gouvernement de Vichy : le Préfet André Jean-Faure, Inspecteur général des camps, et le chef du Service social des ètrangers, Gilbert Lesage. Ils constituent la façade humanitaire du régime de Vichy face aux organisation de secours, surtout celles des pays neutres, comme le Secours Suisse et les Quakers américains.
Une visite de journalistes, venant de pays neutres et connaissant les rapports désastreux sur les traitements infligés aux internés, a pour effet la création de deux soi-disant "camps-hôpitaux", à Noé et au Recébédou, en Haute-Garonne. Dans le département du Tarn, par contre, on constate un changement inverse dans l'affectation du camp de Brens. Les Juifs hébergés là dans un état de semi-liberté sont internés à Rivesaltes et remplacés par des femmes internées politiques venant du camp de Rieucros, en Lozère. Parmi elles des femmes juives. Le Préfet du Tarn a donc la responsabilité de deux camps d'internement de "politiques” : Saint-Sulpice et Brens.
C'est aussi courant 1941 que sont créés des lieux de regroupement d’assignés à résidence, notamment pour les Juifs étrangers, de toute origine, habitant dans les grandes villes. Les préfets désignent des communes disposant de logements, souvent des stations de cure dont les hôtels sont disponibles. Certains maires tentent vainement de s'y opposer.
En décembre 1941, la situation se dégrade. Dans la presse paraît une proclamation de l'Amiral Darlan. Des attentats ayant été commis contre les troupes allemandes, évidemment en zone occupée, des mesures seront prises. Parmi celles-ci, en zone libre, l'internement des Juifs étrangers entrés en France depuis le 1er janvier 1936 ou leur affectation aux GTE (voir annexe) Nous retrouvons là l'hostilité des hommes de Vichy envers les Juifs réfugiés. Les ordres d'application prévoient en fait le placement en résidence surveillée de ceux qui disposent de moyens financiers suffisants, l'intégration dans les Groupes de travailleurs des hommes valides et l'internement de tous les autres. Un recensement spécial est organisé à cet effet et de grandes affiches placardées dans les mairies invitent les chefs de famille concernés à effectuer une déclaration.
Des "conseils de révision" sélectionnent dans chaque département les hommes devant être intégrés dans les GTE. Un signe inquiétant : le Commissariat à la lutte contre le chômage, dont dépendent les GTE, crée des GTE juifs homogènes, encore dits "palestiniens". Le régime dans ces GTE réservés aux Juifs était généralement mauvais.
Je ne connais ces étapes qui devaient déboucher sur les déportations que depuis que j'étudie ces problèmes. En effet, je fus détaché le 1er janvier 1942 dans une exploitation forestière, à Labruguière, en qualité d'aide bûcheron. Les chantiers forestiers, qui approvisionnaient la scierie, se trouvaient en différents endroits de la montagne Noire. Mon statut était celui d'un travailleur "diffus" appartenant au GTE no. 159 cantonné à Castres, à la caserne Fayolle. Je pouvais me rendre à Castres, au bureau du GTE. Tout autre déplacement, en dehors de mon travail, devait donner lieu à l'établissement d'un sauf-conduit établi par la gendarmerie de Labruguière. Je n'en ai fait aucun usage, car ma situation financière était évidemment très précaire.
J'étais peu informé des événements qui nous concernaient. Même le recensement de 1942 a donné lieu à une déclaration émanant directement du bureau du GTE. Il n'existait aucun contact avec les organisations juives. Je n'ai appris qu'après la guerre que des Éclaireurs israélites étaient installés à Lautrec. Des contacts auraient du être favorisés par les organisations juives. Leur absence a eu de graves conséquences par la suite.
En février 1942, une conférence des préfets de région, à Vichy, fut consacrée à la situation dans les camps. J'ai trouvé dans les archives départementales de deux départements les textes des allocutions prononcées par André Jean-Faure, Inspecteur général des camps, et par "Le ministre", probablement Pierre Pucheu. Il se dégage de ces textes, entre autres, que les camps étaient fort critiqués à l'étranger, au grand dam des gouvernants de Vichy. On précisait que les Espagnols constituaient une main d'œuvre très utile, mais que les autres internés n'étaient pas dans ce cas et qu'il fallait "s'en débarrasser".
Nous savons aussi aujourd'hui que l'Amiral Darlan préparait au printemps de 1942 le transport de Juifs étrangers de zone libre en Afrique du nord. Des places étaient réservées à bord des bateaux et la Commission d'armistice italienne à Marseille avait donné son accord. Mais à Vichy certains faisaient des objections, craignant des réactions défavorables de la part des populations d'Afrique du nord. La destitution de Darlan et son remplacement par Pierre Laval ont mis fin à cette opération. On dira peut-être que ce transport en Afrique du Nord nous aurait sauvés de la déportation, grâce à Darlan. Mais je ne crois pas aux bons sentiments de l'Amiral à notre égard. Je pense qu'il voulait surtout se débarrasser de nous.
En juin 1942, Heydrich, chef de la Gestapo, se rend en France pour négocier la déportation des Juifs de France. Après son départ, les négociations sont conduites par Oberg, chef de la Gestapo en France. Son interlocuteur est Bousquet, Secrétaire général à la police. Lequel des deux personnages a-t-il donné l’impulsion pour que des Juifs résidant en zone libre soient remisaux Allemands et déportés ? Ma conviction intime est que cette question ne se pose pas. D'une part, Bousquet voulait se débarrasser d'un groupe humain bien répertorié et encadré. D'autre part, Oberg était de toute façon satisfait d'avance de pouvoir faire déporter ces Juifs. Il connaissant, bien entendu, toutes les mesures prises précédemment par le régime de Vichy contre les réfugiés. Les deux "négociateurs" ne pouvaient qu'être d'accord.
Nous savons maintenant que les préfectures dressaient des listes dès le mois de juillet. Étaient déportables les juifs étrangers ne bénéficiant pas d'une protection consulaire de la part de leur pays d’origine : Allemands, Autrichiens, Sarrois, Polonais, Tchécoslovaques, Bltes (originaires de Lituanie, Estonie, Lettonie), originaires de Dantzig, Soviétiques et réfugiés russes.
Les déportations ont débuté le 5 août. À partir de cette date, la police a entrepris de vider les camps d'internement : Gurs, Le Vernet, Rivesaltes, Noé, Le Recébédou. Le 23 août seront déportés les travailleurs des Groupes homogènes : dans la région de Toulouse sont concernés les Groupes de Septfonds dans le Tarn-et-Garonne et de Tombebouc, dans le Lot-et-Garonne. Il n'existait pas de groupe de "palestiniens" dans le Tarn.
C’est après la guerre que j'ai appris que l'Archevêque de Toulouse et l'Evêque de Montauban ont protesté dès le 23 août contre les déportations par des lettres pastorales qui furent lues dans les églises de leurs diocèses.
Le 25 août, je fus convoqué par mon GTE à Castres. On m'expliqua que je serais arrêté le lendemain, très tôt, par la gendarmerie de Labruguière. On me remit une carte d'identité d'étranger, à mon nom mais mentionnant un lieu de naissance en Suisse et la nationalité de ce pays. Muni de ce document, je devais quitter mon domicile le matin avant l'arrivée des gendarmes, me rendre à Castres et m'engager dans la Légion étrangère. Ce plan supposait que mon nom figurait sur la liste de Labruguière et pas sur celle de Castres. J'ai donc pris l'autorail le lendemain. La gare de Castres était en état de siège. Des policiers partout. Grâce à ma bonne connaissance des lieux, j'ai pu quitter la gare sans être contrôlé et je me suis rendu à la gendarmerie. La cour était pleine de personnes déjà arrêtées. Le subterfuge concernant mon identité fut malheureusement été découvert et je me suis retrouvé dans la cour, parmi mes camarades du GTE.
Nous avons été transportés au camp de Saint Sulpice. Celui-ci avait été quelque peu aménagé afin de nous séparer des internés habituels. En effet, notre groupe comprenait des femmes et des enfants, ce qui ne s'était jamais vu à Saint-Sulpice. D'une manière générale, des consignes ont du être donnés par Vichy aux préfets, afin d'éviter tout incident pouvant être mal perçu par la population. C'était la consigne "pas de vagues". Elle a permis aux fonctionnaires de Vichy de recueillir des appréciations favorables de la part de certains évêques, du type "vous avez été humains".
Nous sommes restés à Saint Sulpice du 26 août au 2 septembre. Pendant cette période, le fait marquant fut le travail de la Commission de criblage. Une telle commission siégeait dans chacun des camps de rassemblement. À Saint-Sulpice, elle était présidée par un haut fonctionnaire de la préfecture auquel était adjoint le Commissaire spécial, c'est-à-dire le fonctionnaire chargé des dossiers des "politiques", et notamment des internements. Le rôle de cette commission était de vérifier que les personnes arrêtées relevaient bien des critères qui avaient été édictés par Vichy. Les dérogations n'étaient pas connues des internés. Elles allaient des familles ayant un enfant de moins de deux ans aux personnes ayant rendu des services signalés à la France, en passant par les femmes en état de grossesse "apparente".
La commission était secondée par un rabbin, en l'occurrence le rabbin A. d'Albi, nommé par le Consistoire israélite pour ce département. Des constatations faites dans les archives de Lot-et-Garonne, qui reflètent une situation générale, me conduisent à penser que la présence du rabbin était importante du point de vue de Vichy. Elle conférait à la commission une touche d'humanité et elle permettait de calmer les esprits en rassurant les internés. Le rôle du rabbin consistait à plaider en faveur des victimes, dans certains cas particuliers. Les exemptions qui en découlaient ajoutaient à la bonne conscience des fonctionnaires. Le rabbin d'Albi a sauvé deux enfants de la déportation.
C'est dans cette période que se situe l'événement dramatique que je ne puis oublier qui m'a conduit à entreprendre mon travail pour la mémoire. Un jour se présente à l'entrée du camp un camion bâché de la gendarmerie. À l’arrière sont assis un gendarme et une convoyeuse de la Croix-Rouge. Ce camion transportait au camp des enfants que les parents avaient confié à des voisins au moment de leur arrestation. La Préfecture avait décidé de les reprendre et de les déporter avec leurs parents. Le chagrin des parents était indescriptible.
30 femmes furent extraites du camp de Brens et jointes à notre convoi.
Le 2 septembre, nous avons été conduits à la gare de Saint Sulpice où nous attendaient des wagons à bestiaux. Nous étions 223 personnes, dont 34 enfants et adolescents, gardés par des GMR (Groupes mobiles de réserve), la police mobile de Vichy, une récente création de Bousquet. Chacun des wagons était destiné à environ 30 personnes. Un wagon de voyageurs était réservé aux GMR, aux convoyeuses de la Croix-Rouge et à quelques femmes déportées accompagnées d'enfants très jeunes.
Après une longue attente sous le soleil d'août, les wagons furent raccrochés à un train normal de voyageurs (selon les documents d'archives) et nous avons accompli ainsi le trajet de Saint-Sulpice à Toulouse. Dans chaque wagon se trouvaient deux GMR qui étaient assis dans l'une des portes ouvertes.
Le rabbin A, délégué à Saint-Sulpice, a rédigé un rapport :

"SAINT SULPICE - Convoi du 2 septembre 1942 -
Mon arrivée (a été) très appréciée par les internés qui peuvent désormais s’expliquer en Yiddish. Il m’est interdit de quitter le camp, mais toutes facilités me sont données pour téléphoner ou télégraphier. Je retrouve au camp Monsieur W., Secrétaire général de l’U.G.I.F d’Albi.
Mademoiselle Roussel et Madame Perrin, assistante et déléguée du S.S.E ont travaillé avec cœur et ont fait preuve d’un dévouement sans bornes. Le commandant du camp, dans le cadre des ordres reçus, a été bienveillant, les gardes parmi lesquels un certain nombre de Lorrains expulsés ont été chics. La nourriture était très propre et suffisante, l’U.G.I.F donnait chaque jour des fruits en supplément.
Après avoir longuement parlé avec le Docteur Arnaud, j’avais réussi à l’apitoyer et à le convaincre. Il était entendu qu’à part les intransportables réels, douze autres personnes malades seraient déclarées intransportables au dernier moment. Le Docteur S., médecin inspecteur d’Albi, et Monsieur W., chef des bureaux de la Préfecture d’Albi, ont été impitoyables. La combinaison a échoué et c’est ainsi que l’on a compris dans le convoi... : une femme avec fibrome, un homme avec un lupus tuberculeux, un autre avec un ulcère du duodénum et un poumon gauche très suspect, une jeune femme avec la maladie de Basedow, l’un avec un souffle au cœur, une femme avec le bras amputé jusqu’à l’épaule, etc
Les internés s’étaient promis de ne quitter le camp que par la force et en manifestant violemment, mais quand vint le moment, le mercredi 2 septembre à 14 heures, ces pauvres gens étaient déjà passés par de telles alternances d’espoir et de désespoir : reconnaissance ou protection de nationalité roumaine, hongroise, belge, hollandaise, abandon possible des enfants, qu’ils n’étaient plus capables de réagir. Je note toutefois deux tentatives avortées de suicide.
Les gens sont placés dans les wagons à 15 heures. Le train ne partira qu’à 23 h 30. Dans l’un (des wagons ?) on comptait jusqu’à 47 femmes et enfants. On avait placé dans chaque wagon deux seaux hygiéniques et deux brocs, (avec) interdiction formelle de descendre. Les GMR. ont été féroces. C’est avec beaucoup de peine que la (représentante du) S.S.E. et moi-même, avec l’appui véhément du chef de gare, avons obtenu pour les déportés l’autorisation d’aller une fois aux toilettes.
Une demi-heure avant le départ du train, deux voitures ont amené l’une un enfant de deux ans et demi pour qu’il parte avec sa mère, l’autre le Dr Deutsch et sa fille. Le Dr Deutsch était en clinique à Castres, à la veille de subir une opération du goitre. On est venu lui proposer de se rendre volontairement avec sa fille à Rivesaltes, sa femme, qui était à Saint Sulpice, l’y aurait rejoint. Après qu’il eut accepté, la voiture l’amena au convoi.
Peu de temps avant le départ, j’ai pu tirer du convoi les deux enfants Neviasky. Les déportés ont été environ deux cent trente. Il y a eu une trentaine d’exemptions formelles.
"

De Toulouse, le train a pris la direction de Paris. Il s'est arrêté à Caussade pour charger les déportés de Septfonds (Tarn-et-Garonne), à Cahors pour prendre les internés du Camp de Sauvaud à Casseneuil (Lot-et-Garonne) et à Châteauroux pour ceux de Prémilhat-Montluçon (Allier). Nous étions finalement environ 800 qui avons traversé à Vierzon la ligne de démarcation. Le train est arrivé le 4 septembre au matin en gare du Bourget-Drancy. C'est là que j'ai aperçu pour la première fois un soldat allemand, une sentinelle qui gardait un pont. Nous avons été déportés de Drancy dans deux convois : le no. 30 du 9 septembre et le no. 31 du 11 septembre.
Nous savons aujourd'hui que l'Archevêque d'Albi, Monseigneur Moussaron, a fait lire le 19 septembre dans les églises du département une lettre pastorale dans laquelle il déplore les déportations1. Le texte manque un peu de vigueur, surtout lorsqu'on prend connaissance de la lettre qu'il a adressée la veille au Préfet. De toute façon, les déportés étaient à cette date entre les griffes des nazis. Le Service d'ordre légionnaire, de son côté, a diffusé à cette occasion un tract mensonger.
Les personnes qui avaient pu se soustraire aux arrestations et qui furent arrêtées dans les semaines suivantes furent transportées au camp de Rivesaltes d'où des trains de déportation sont partis jusqu'en octobre.

Ainsi se termine la période 1940 à 1942, en zone libre. Une opération semblable à celle que je viens de décrire a frappé les réfugiés le 20 février 1943, sous l'occupation allemande. La police de Vichy a alors arrêté 2 000 hommes dans les départements de la zone libre. Ils furent internés au camp de Gurs et déportés au début du mois de mars 1943.2

02/10/2010
Auteur : Gérard Gobitz
Source :
Témoignage de Gérard Gobitz

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Titre

Les déportations de refugiés de zone libre en 1942 - Récits et documents concernant les régions administratives de Toulouse, Nice, Lyon, Limoges, Clermont-Ferrand, Montpellier (Camp de Rivesaltes)

Les déportations de refugiés de zone libre en 1942 - Récits et documents concernant les régions administratives de Toulouse, Nice, Lyon, Limoges, Clermont-Ferrand, Montpellier (Camp de Rivesaltes)

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Auteur   Gérard Gobitz  
Édition   L'Harmattan  
Année   2000  
Genre   histoire  
Description   Comment cela a t-il été possible ? C'est à cette réflexion que l'auteur nous invite. Ancien déporté, Gérard Gobitz a consacré huit années à une enquête sur des événements qui furent longtemps occultés : la déportation en 1942 de Juifs résidant en zone libre, c'est-à-dire dans la partie de la France non occupée par les Allemands, où le gouvernement de Vichy était souverain et exerçait son autorité sans partage. Il nous livre aujourd'hui le résultat de ses recherches dans les Archives de vingt-cinq départements. Onze mille personnes, dont quatre cents enfants, furent livrées aux Nazis et déportées vers le camp d'extermination d'Auschwitz. Un travail de mémoire qui a abouti à la création de nombreux lieux du souvenir. Les documents produits, provenant pour l'essentiel des Archives des Départements, incitent ausi à la réflexion : d'un côté, une administration, à tradition républicaine, a pu devenir l'instrument du crime contre l'humanité, parce que placée sous les ordres d'hommes politiques et de hauts fonctionnaires qui étaient acquis à la collaboration avec l'ennemi, de l'autre, des hommes et des femmes qui se sont portés au secours des familles persécutées. Le " film des événements " et les documents qui l'authentifient font revivre une époque tragique. Lecteur souviens-toi !  

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1 Notre Dame de Sion : les Justes (La première religieuse de Sion à recevoir ce titre en 1989 est Denise Paulin-Aguadich (Soeur Joséphine), qui, à l’époque de la guerre, était ancelle (en religion, fille qui voue sa vie au service de Dieu). Depuis, six autres sœurs de la congrégation, ainsi qu’un religieux de Notre-Dame de Sion ont reçu la même marque de reconnaissance à titre posthume. Ils ont agi à Grenoble, Paris, Anvers, Rome. L’action de ces religieuses et religieux qui ont sauvé des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale mérite de ne pas être oubliée. Et il y en a d’autres, qui, même s’ils n’ont pas (encore ?) reçu de reconnaissance officielle, ont œuvré dans le même sens, chacun à leur place. )
2 L'histoire des Van Cleef et Arpels (Blog de Jean-Jacques Richard, très documenté. )
3 Résistance à la Mosquée de Paris : histoire ou fiction ? de Michel Renard (Le film Les hommes libres d'Ismël Ferroukhi (septembre 2011) est sympathique mais entretient des rapports assez lointains avec la vérité historique. Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.
Mais prétendre que la Mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire. )
4 La Mosquée de Paris a-t-elle sauvé des juifs entre 1940 et 1944 ? une enquête généreuse mais sans résultat de Michel Renard (Le journaliste au Figaro littéraire, Mohammed Aïssaoui, né en 1947, vient de publier un livre intitulé L’Étoile jaune et le Croissant (Gallimard, septembre 2012). Son point de départ est un étonnement : pourquoi parmi les 23 000 «justes parmi les nations» gravés sur le mémorial Yad Vashem, à Jérusalem, ne figure-t-il aucun nom arabe ou musulman ? )
5 Paroles et Mémoires des quartiers populaires. (Jacob Szmulewicz et son ami Étienne Raczymow ont répondu à des interviews pour la réalisation du film "Les garçons Ramponeau" de Patrice Spadoni, ou ils racontent leur vie et en particulier leurs actions en tant que résistants. On peut le retrouver sur le site Paroles et Mémoires des quartiers populaires. http://www.paroles-et-memoires.org/jan08/memoires.htm. (Auteur : Sylvia, Source : Canal Marches) )
6 Les grands entretiens : Simon Liwerant (Témoignage de Simon Liwerant est né en 1928. Son père Aron Liwerant, ouvrier maroquinier né à Varsovie, et sa mère Sara née Redler, seront arrêtés et déportés sans retour. )

Notes

- 1 - Voir Jean ESTÈBE, Les Juifs à Toulouse et en Midi toulousain au temps de Vichy, Presses universitaires du Mirail, 1996
- 2 - Gérard Gobitz, ingénieur en retraite, interné au camp de Saint Sulpice (Tarn) puis déporté en camp de déportation, est l’auteur de Les déportations de réfugiés de Zone Libre en 1942, Paris, L’Harmattan, 2000.




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